Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ta Ouneshou
4 septembre 2008

Article intéressant lu dans Courrier International

                                                                                   
Pour l’Occident la Géorgie est une leçon          
Ancien diplomate singapourien, Kishore Mahbubani (www.mahbubani.net) est doyen de l’école de politique publique Lee Kuan Yew à l’université nationale de ­Singapour. Il vient de publier The New Asian Hemisphere – The Irresistible Shift of ­Global Power to the East [Le nouvel hémisphère asiatique : l’irrésistible déplacement vers l’est du pouvoir mondial].
De petits événements annoncent parfois un grand changement. Le fiasco géorgien pourrait bien être l’un de ceux-là. Il laisse présager la fin de l’après-guerre froide. Mais il ne marque pas le retour d’une nouvelle guerre froide. Il indique un retour bien plus important : celui de l’Histoire. L’après-guerre froide avait débuté sur une note de triomphalisme occidental, symbolisé par le livre de Francis Fukuyama La Fin de l’Histoire et le dernier homme [Flammarion, coll. “Champs”, 1993]. Le titre, audacieux, reflétait l’esprit de l’époque en Occident. L’Histoire s’était achevée avec le triomphe de la civilisation occidentale : le reste du monde n’avait pas d’autre choix que de capituler devant son avancée.
En Géorgie, la Russie a clamé haut et fort qu’elle ne capitulerait plus face à l’Occident. Après vingt ans d’humiliation, les Russes ont décidé de montrer les dents. Et, d’ici peu, d’autres feront de même. Grâce à sa puissance écrasante, l’Occident a fait intrusion dans l’espace géopolitique de pays assoupis qui émergent aujourd’hui, particulièrement en Asie.
Les leçons de morale des Occidentaux sur la ­Géorgie laissent perplexes la plupart des pays du monde. Les Etats-Unis ne toléreraient jamais que la Russie s’immisce dans leur sphère d’influence en Amérique latine. Les Latino-Américains voient donc clairement que les Américains appliquent deux poids, deux mesures. De même, tous les commentateurs musulmans notent que les Etats-Unis ont eux aussi envahi illégalement l’Irak. Ni l’Inde ni la Chine ne sont enclines à protester contre la Russie. Cela montre à quel point les Occidentaux sont isolés lorsqu’ils défendent le point de vue selon lequel le monde doit soutenir le plus faible, c’est-à-dire la Géorgie, contre la Russie. En réalité, la plupart des pays soutiennent la Russie contre le harcèlement de l’Occident : le fossé entre la position occidentale et celle du reste du monde ne pourrait être plus profond.
Il est donc crucial que les Occidentaux tirent les bonnes leçons de la Géorgie. Ils doivent réfléchir stratégiquement aux options – limitées – dont ils disposent. Après l’effondrement de l’URSS, les penseurs occidentaux ont présumé que l’Occident n’aurait plus jamais à faire de compromis géopolitique, qu’il pourrait imposer ses conditions. Il doit aujourd’hui se rendre à la réalité : la population cumulée de l’Amérique du Nord, de l’Union européenne et de l’Australasie [Australie et Nouvelle-Zélande] est de 700 millions de personnes, soit environ 10 % de la population mondiale. Les 90 % restants sont passés du statut d’objets à celui de sujets de l’histoire mondiale. Le Financial Times du 18 août 2008 titrait : “Géorgie : un front occidental uni”. Il aurait été plus juste d’écrire : “Géorgie : le reste du monde incrimine l’Occident”. Pourquoi ? En raison d’un manque de réflexion stratégique.
Malgré tous ses défauts, Mao Tsé-toung était un remarquable stratège. Il disait que la Chine avait toujours eu à résoudre sa contradiction première et à faire des concessions sur sa contradiction secondaire. Quand l’URSS est devenue la contradiction principale de la Chine, Mao a trouvé un accord avec les Etats-Unis, malgré l’humiliation qu’il y avait à négocier avec un pays qui reconnaissait alors Tchang Kaï-chek comme dirigeant légitime de la Chine. L’Occident devrait s’inspirer du pragmatisme de Mao et se concentrer sur sa contradiction première.
La Russie n’est pas près de devenir la contradiction première de l’Occident. La vraie question stratégique est de savoir si le principal défi provient du monde musulman ou de la Chine. Depuis le 11 septembre 2001, l’Occident a agi comme si c’était le monde musulman. Mais, plutôt que de concevoir une stratégie à long terme pour gagner la confiance des 1,2 milliard de musulmans, l’Occident a sauté sans réfléchir sur le monde musulman. D’où l’échec qui se profile en Afghanistan et en Irak, et l’aggravation de l’hostilité du monde musulman.
De nombreux penseurs européens sont pleinement conscients de l’absurdité de beaucoup de décisions américaines. Mais ils répugnent à regarder en face le danger qu’il y a à ­sous-traiter leur sécurité à la puissance américaine. En matière de sécurité, la géographie l’emporte sur la culture. En raison de sa situation géographique, l’Europe doit se préoccuper de la colère du monde musulman. Grâce à l’océan Atlantique, les Américains ont moins de raisons de le faire.
                                    
Aux Etats-Unis, d’éminents penseurs néoconservateurs considèrent la Chine comme la contradiction première du pays. Ils soutiennent pourtant passionnément Israël, sans se rendre compte du cadeau géopolitique qu’ils font ainsi à la Chine. C’est la garantie que les Américains récolteront l’hostilité du monde musulman, les empêchant de se concentrer sur l’empire du Milieu. La Chine est indéniablement le principal bénéficiaire du 11 septembre 2001. Elle a stabilisé son voisinage pendant que les Etats-Unis regardaient ailleurs.
Les penseurs occidentaux doivent décider quel est le vrai problème à long terme. Si c’est le monde musulman, les Etats-Unis doivent cesser de s’immiscer dans la sphère géopolitique russe et travailler à un dialogue durable avec la Chine. Si c’est la Chine, ils doivent rallier à leur cause la Russie et le monde musulman, et résoudre la question israélo-palestinienne. Cela permettra aux gouvernements des pays musulmans de collaborer plus étroitement avec les Occidentaux dans la lutte contre Al-Qaida.
Pour les Occidentaux, le plus grand paradoxe est qu’il est enfin possible de créer un ordre mondial plus sûr. Jamais autant de pays n’ont souhaité devenir des “partenaires responsables”. La plupart – en particulier la Chine et l’Inde – souhaitent collaborer avec les Etats-Unis et l’Occident. Mais l’absence d’une stratégie mondiale cohérente à long terme et l’incapacité à faire des compromis géopolitiques sont les principaux obstacles pour parvenir à un ordre mondial stable. Les dirigeants occidentaux disent que le monde devient de plus en plus dangereux, mais ils sont peu nombreux à admettre que leur raisonnement bancal en est la cause.
Kishore Mahbubani
Financial Times
Publicité
Publicité
Commentaires
Ta Ouneshou
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité