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Ta Ouneshou
12 juin 2008

"Les classes préparatoires, une vie entre parenthèses"

Le Monde, 10/06/2008

La souffrance psychique des élèves des classes préparatoires et des grandes écoles était au programme d'un colloque organisé par l'association Santé grandes écoles, vendredi 6 juin, à Paris. Présidente de l'association, Dominique Monchablon, psychiatre, est chef de service du Relais étudiants lycéens (Fondation santé des étudiants de France) dans le 13e arrondissement.

Dans cette structure, près de 40 % des jeunes qui consultent sont des élèves de classes préparatoires aux grandes écoles. Cofinancé par le rectorat de Paris, le Relais reçoit des élèves de tous les lycées de la capitale et a des liens institutionnalisés avec Henri-IV, Louis-le-Grand et Saint-Louis.

De quoi souffrent les élèves de classes préparatoires qui viennent consulter ?

Environ un tiers d'entre eux souffrent d'une situation d'inconfort psychologique et la moitié de réelles difficultés psychologiques. Les 20 % restants semblent en passe d'entrer dans une maladie au long cours, troubles anxieux ou psychotiques, avec une forte prévalence des troubles de l'humeur, comme les psychoses maniaco-dépressives.

Les élèves de classes préparatoires sont soumis à un rythme très exigeant et à une évaluation très péjorative de leurs compétences. C'est une grande souffrance pour ces jeunes, habitués à être tête de classe, de voir leurs notes s'écrouler. On leur demande un hyper-investissement intellectuel au détriment de tout le reste. Or, ils avaient très souvent des activités extra-scolaires - musique et sport - intenses.

Heureusement, il existe dans ces classes une forte dynamique amicale. Parfois, ces très bons élèves étaient des boucs émissaires dans leurs lycées d'origine. En prépa, ils se retrouvent dans un milieu très homogène.

Leur cohésion s'explique aussi par le fait qu'ils partagent le même rythme d'enfer et qu'ils ont un intérêt commun : réussir leur concours. Néanmoins, le temps amical est très restreint, de même que la vie amoureuse, sexuelle. Comme, ils le disent parfois "prépa maqué, prépa raté".

Les deux à trois années qu'ils passent dans ces classes de fabrique d'élites sont comme des mises entre parenthèses à un âge fait normalement de curiosités, de loisirs, d'échanges. Il y a une suspension de tout questionnement existentiel et du processus de maturation. Ils ne connaissent pas la rébellion. Ce n'est qu'une fois en grande école qu'ils commenceront à se positionner pour eux-mêmes.

On peut parler de déséquilibre institutionnalisé, qui comporte des préjudices, mais aussi des bénéfices, en termes de conduite de dépassement de soi et d'ascèse.

Quelles demandes expriment-ils lorsqu'ils sont adressés au Relais ?

La plupart des étudiants ne viennent pas consulter pour des raisons d'ordre psychologique mais scolaire. Ils sont à peine conscients d'aller mal. Ce qui les perturbe, ce sont leurs performances. Ils ne remettent absolument pas leur choix en question.

Leur demande majeure, c'est qu'on les aide à aller jusqu'au concours et pas d'aller mieux. Ils sont le plus souvent dans une spirale négative, qui obère leurs résultats. Parce que leurs performances étaient en baisse, ils ont sacrifié le peu de temps de loisirs qui leur restait.

Mais cette démarche ne s'est pas avérée rentable pour améliorer la qualité de leur travail. Alors, ils ont pris sur leur temps de sommeil. Mais la fatigue et le stress n'ont fait qu'aggraver leurs résultats scolaires.

Nous les aidons à reprendre pied par un soutien psychologique qui leur permet un mieux-être et une amélioration de leurs performances scolaires.

Quel est le rôle de l'institution et des familles dans le mal-être dont souffrent ces élèves de prépa ?

Ce n'est pas l'institution qui est à incriminer, c'est le système lui-même qui est très contraignant. Les chefs d'établissement font ce qu'ils peuvent pour aménager les parcours de ces jeunes.

Quant aux familles, elles veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs enfants... Jusqu'à ce qu'ils tombent malades. Les élèves de prépa sont issus de milieux particulièrement privilégiés, avec des modèles identificatoires forts. Les parents exercent une pression intense dès la fin de la troisième pour obtenir le meilleur lycée.

Très angoissés par la réussite de leurs enfants, ils les poussent vers des filières ultra-sélectives. On est dans un système de compétition scolaire aggravée par la massification de l'enseignement supérieur.

Retrouve-t-on chez les élèves de grandes écoles le même malaise qu'en classe préparatoire ?

Après la course aux concours, ils peuvent enfin se poser, mais ont du mal à se déterminer. Et pourtant, une fois en grande école, on leur demande de se positionner pour eux-mêmes et d'être maître de leur cursus.

Après la mise entre parenthèses des années prépa, il leur est difficile de se positionner en tant que sujet, et en fin de cursus, de se projeter dans le monde professionnel. C'est alors qu'émerge le questionnement. Pourquoi ai-je fait une école de commerce ou d'ingénieurs, moi, qui était tenté par l'humanitaire ?

C'est alors que psychiatres, psychologues peuvent intervenir pour accompagner cette maturation. Ils les aident, avec les enseignants, qui font un formidable travail, à trouver leur projet personnel. Le but est d'aider les élèves à ouvrir une voie, au départ étroite, pour leur donner la liberté de se déterminer autrement que ce pour quoi ils ont été programmés.

L'accompagnement psychologique des élèves de classes préparatoires et de grandes écoles vous semble-t-il suffisant ?

Pour les élèves de prépa, il est tout à fait indigent. Et pourtant, il s'agit de situations où il faut intervenir rapidement. On ne peut pas se donner du temps comme pour un lycéen classique. En l'espace de deux, trois mois, l'année est foutue.

Les grandes écoles ont commencé à se doter de pôle santé, souvent à l'occasion d'accidents psychiatriques. Mais cela reste marginal.

Propos recueillis par Martine Laronche

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Commentaires
K
En lisant ça je me suis dit que c'était peut-être pour ça que je suis restée timide et renfermée pendant très longtemps. Peut-être pour ça que je ne commence à m'amuser vraiment que depuis un ou deux ans. Lorsque j'étais en prépa ça ne me venait même pas à l'idée de sortir, voir du monde après les cours etc...
N
.......Sans commentaire, je ne peux qu'être d'accord et demander pourquoi ils se bougent seulement maintenant, pourquoi ce truc est pas plus connu, pourquoi le numéro fait pas partie des fondamentaux qu'on nous donne en début d'année, pourquoi...<br /> <br /> Enfin bref. Malheureusement l'intégralité de l'interview ou presque est vraie donc ça sert à rien d'en rajouter. Et suis ravie d'avoir fini ce calvaire (dit-elle en retournant à son boulot)
Ta Ouneshou
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